CULTURE

Socrate n’a jamais existé

Socrate est considéré comme l’un des plus grands philosophes de l’histoire, mais existe-t-il des preuves historiques de son existence ? Certains chercheurs ont remis en question la réalité de Socrate, en se basant sur le fait qu’il n’a laissé aucun écrit et qu’il n’apparaît que dans les œuvres de ses disciples, notamment Platon et Xénophon. Ces sources sont-elles fiables ou ont-elles idéalisé ou inventé le personnage de Socrate ?

Dans cet article, nous allons examiner les arguments en faveur et en contre de l’existence de Socrate, ainsi que les implications de cette question pour la philosophie et la culture occidentales.

Les arguments en faveur de l’existence de Socrate

Les partisans de l’existence de Socrate avancent plusieurs éléments pour étayer leur thèse :

– Socrate apparaît non seulement dans les dialogues de Platon et les mémorables de Xénophon, mais aussi dans les œuvres d’autres auteurs contemporains ou postérieurs, comme Aristophane, Aristote, Diogène Laërce ou Cicéron. Ces témoignages convergents rendent peu probable que Socrate soit une pure fiction.

– Socrate a été condamné à mort par le tribunal d’Athènes en 399 av. J.-C., pour impiété et corruption de la jeunesse. Ce fait historique est attesté par plusieurs sources et il est difficile d’imaginer qu’il ait été inventé par ses disciples pour glorifier leur maître.

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– Socrate a eu une influence considérable sur le développement de la philosophie et de la pensée occidentales. Il est le fondateur du courant socratique, qui comprend les écoles cynique, cyrénaïque, mégarienne et académique. Il est aussi le précurseur du rationalisme, du scepticisme et de l’éthique. Il est difficile d’expliquer cette influence si Socrate n’a jamais existé.

Les arguments contre l’existence de Socrate

Les opposants à l’existence de Socrate avancent également plusieurs éléments pour soutenir leur thèse :

Le premier argument est que Socrate n’a laissé aucun écrit de sa main. Toute la connaissance que nous avons de lui provient des dialogues de Platon, de quelques témoignages d’autres auteurs anciens comme Xénophon ou Aristophane, et de quelques inscriptions et fragments archéologiques. Or, ces sources sont loin d’être fiables et cohérentes. Platon, par exemple, utilise Socrate comme un porte-parole de ses propres idées, et il est difficile de distinguer ce qui relève du maître ou du disciple. De plus, Platon introduit souvent des éléments mythiques ou fantastiques dans ses dialogues, ce qui rend douteuse la véracité historique de ses récits. Xénophon, quant à lui, présente un Socrate très différent de celui de Platon, plus pragmatique et moins dialectique. Aristophane, enfin, se moque ouvertement de Socrate dans sa comédie Les Nuées, où il le représente comme un sophiste ridicule et dangereux.

– Socrate n’a laissé aucun écrit de sa main, ce qui est étonnant pour un philosophe qui prétendait chercher la vérité et le savoir. Il se peut qu’il ait été analphabète ou qu’il ait méprisé l’écriture comme un moyen inférieur à la parole.
– Socrate apparaît différemment selon les sources qui le décrivent. Chez Platon, il est le porte-parole des idées du philosophe, qui évoluent au fil des dialogues. Chez Xénophon, il est un moraliste conservateur et pragmatique. Chez Aristophane, il est un sophiste ridicule et dangereux. Ces contradictions suggèrent que chaque auteur a projeté sur Socrate sa propre vision ou ses propres intérêts.
– Socrate est un personnage trop parfait pour être réel. Il incarne les vertus de la sagesse, du courage, de la justice et de la tempérance. Il maîtrise l’art du dialogue et de la dialectique. Il accepte sa condamnation à mort avec sérénité et dignité. Il semble être un modèle idéal plutôt qu’un homme réel.

Le deuxième argument est que Socrate n’a pas eu d’influence réelle sur son époque. Si Socrate avait été un personnage historique, on s’attendrait à ce qu’il ait marqué les esprits de ses contemporains par son enseignement oral, sa méthode interrogative et sa condamnation à mort. Or, il n’existe aucune trace de cette influence dans les sources primaires. Aucun des grands penseurs qui ont suivi Socrate ne le mentionne comme une référence ou une inspiration. Aristote, par exemple, ne cite jamais Socrate dans ses œuvres, et se contente de le classer parmi les philosophes présocratiques. De même, les stoïciens, les épicuriens ou les sceptiques ne semblent pas avoir été influencés par Socrate. Il est donc possible que Socrate n’ait été qu’un personnage fictif créé par Platon pour donner plus de crédibilité à sa philosophie.

Le troisième argument est que Socrate correspond à un archétype littéraire courant dans l’Antiquité. Il n’est pas rare de trouver dans la littérature ancienne des personnages qui incarnent la sagesse, la vertu ou la piété, et qui sont persécutés ou mis à mort pour leurs idées. On peut citer par exemple Diogène le cynique, qui vivait dans un tonneau et défiait les conventions sociales ; Pythagore, qui aurait fondé une secte mystérieuse et aurait été assassiné par ses ennemis ; ou encore Jésus-Christ, qui aurait prêché l’amour universel et aurait été crucifié par les Romains. Ces personnages ont en commun d’être des modèles moraux ou spirituels pour leurs adeptes, mais aussi des figures contestataires ou subversives pour leurs adversaires.

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La position de Bertrand Russel sur l’existence de Socrate

Bertrand Russel (1872-1970) est l’un des plus grands philosophes et logiciens du XXe siècle. Il est notamment connu pour ses travaux sur la logique mathématique, la philosophie des sciences, l’éthique et la politique. Parmi ses nombreux ouvrages, on peut citer Principia Mathematica (1910-1913), écrit avec Alfred North Whitehead, et Histoire de la philosophie occidentale (1945-1947).

Dans ce dernier livre, Russel consacre un chapitre à Socrate (470-399 av. J.-C.), le célèbre philosophe grec qui n’a laissé aucun écrit et dont la vie et la pensée nous sont rapportées par ses disciples, notamment Platon et Xénophon. Russel se pose alors la question de savoir si Socrate a réellement existé ou s’il n’est qu’un personnage fictif créé par Platon pour illustrer sa doctrine.

Russel commence par reconnaître que Socrate est un personnage historique attesté par plusieurs sources indépendantes, comme Aristophane, qui le caricature dans sa comédie Les Nuées, ou Thucydide, qui le mentionne brièvement dans son Histoire de la guerre du Péloponnèse. Il admet aussi que Socrate a exercé une grande influence sur la philosophie grecque et qu’il a été condamné à mort par un tribunal démocratique pour impiété et corruption de la jeunesse.

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Cependant, Russel soulève plusieurs problèmes qui rendent difficile de connaître le véritable Socrate. Il remarque que les dialogues de Platon ne sont pas des transcriptions fidèles des conversations de Socrate, mais des œuvres littéraires qui visent à exposer la pensée de Platon lui-même. Il note que Platon attribue à Socrate des idées qui sont en contradiction avec celles qu’il exprime dans d’autres dialogues ou qui appartiennent à des périodes postérieures de l’histoire de la philosophie. Il suggère que Platon a utilisé Socrate comme un porte-parole pour ses propres opinions et qu’il a modifié son caractère selon les besoins de son argumentation.

Russel conclut que Socrate est un personnage ambigu, qui se situe à la frontière entre l’histoire et la fiction. Il affirme que nous ne pouvons pas savoir ce que Socrate a réellement dit ou pensé, mais seulement ce que Platon a voulu nous faire croire qu’il a dit ou pensé. Il compare Socrate à Hamlet, le héros de Shakespeare, qui est aussi un personnage complexe et fascinant, mais dont l’existence n’est pas attestée par des sources historiques.

Russel reconnaît toutefois que Socrate a eu une importance capitale dans le développement de la philosophie occidentale et qu’il reste un modèle d’intégrité intellectuelle et morale. Il admire sa méthode dialectique, qui consiste à interroger ses interlocuteurs pour les amener à reconnaître leurs contradictions et à chercher la vérité. Il loue son courage face à la mort, qu’il accepte sans crainte ni regret. Il le considère comme un précurseur du rationalisme et du scepticisme modernes.

Les implications de la question

L’existence ou non de Socrate est une question qui dépasse le simple cadre historique. Elle touche à la valeur et à la validité de la philosophie elle-même. Si Socrate n’a jamais existé, cela signifie-t-il que ses idées sont sans fondement ou sans intérêt ? Peut-on faire confiance aux sources qui nous transmettent sa pensée ? Peut-on séparer le message du messager ?

La question de l’existence ou non de Socrate est une question qui a suscité de nombreux débats et controverses parmi les historiens et les philosophes. Il s’agit en effet d’une question qui a des implications importantes pour la compréhension et l’évaluation de la philosophie socratique, qui a marqué un tournant dans l’histoire de la pensée occidentale.

Si Socrate n’a jamais existé, cela signifie-t-il que ses idées sont sans fondement ou sans intérêt ? Cette hypothèse remettrait en cause la crédibilité et la pertinence des sources qui nous transmettent sa pensée, principalement les dialogues de Platon et les Mémorables de Xénophon. Ces œuvres seraient alors considérées comme des fictions littéraires ou des constructions idéologiques, qui ne reflètent pas la réalité historique. On pourrait alors se demander si la philosophie socratique n’est pas qu’une invention de Platon, qui aurait utilisé le personnage de Socrate comme un porte-parole de sa propre doctrine.

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Peut-on faire confiance aux sources qui nous transmettent sa pensée ? Cette question suppose que l’on puisse distinguer entre le Socrate historique et le Socrate littéraire, c’est-à-dire entre le personnage réel et le personnage fictif. Or, cette distinction n’est pas évidente, car les sources antiques ne sont pas des témoignages objectifs et neutres, mais des interprétations subjectives et partiales. Chaque auteur a sa propre vision de Socrate, qui dépend de son contexte culturel, politique et philosophique. Ainsi, Platon présente Socrate comme un maître de la dialectique et un défenseur des idées, tandis que Xénophon le décrit comme un sage pratique et un moraliste. Il n’existe donc pas un seul Socrate, mais plusieurs Socrates, qui sont autant de représentations possibles du philosophe.

Peut-on séparer le message du messager ? Cette question implique que l’on puisse apprécier la valeur et la validité de la philosophie socratique indépendamment de son origine et de son auteur. Or, cette possibilité n’est pas évidente non plus, car la philosophie socratique n’est pas un système clos et achevé, mais une démarche ouverte et interrogative. Le message de Socrate n’est pas un ensemble de doctrines ou de thèses, mais une méthode et une attitude. Le messager de Socrate n’est pas un simple énonciateur ou un transmetteur, mais un acteur et un modèle. La philosophie socratique est donc inséparable de la personnalité et du style de Socrate, qui en sont les éléments essentiels.

On voit donc que la question de l’existence ou non de Socrate est une question qui a des implications profondes pour la compréhension et l’évaluation de la philosophie socratique. Elle nous invite à réfléchir sur les rapports entre l’histoire et la fiction, entre la source et l’interprétation, entre le message et le messager. Elle nous amène aussi à nous interroger sur le sens et la portée de la philosophie elle-même, qui est à la fois une recherche de la vérité et une manière de vivre.

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Toni Lokadi

Toni Lokadi

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Toni est responsable du contenu éditorial. L'objectif est de rendre accessible la connaissance et l'information juridique au plus grand nombre grâce à un contenu simple et de qualité.

14 Comments

  1. Avatar

    Réflexion

    9 avril 2023

    Merci pour votre contribution au savoir.
    Il me paraît important de préciser que ce n’est pas tant la vie d’un auteur ou d’un personnage que ses idées ou son apport intellectuel qui importe le plus.

    L’idée de recourir à un paradigme histoicisant est peu avantageuse pour la recherche scientifique. Bien des savants, qu’ils aient réellement existés ou pas ne sont par exemple pas des modèles en matière d’éthique, mais l’on s’en tient à leur apport scientifique.
    Bref, le paradigme historicisant doit être discriminé au profit du paradigme problématisant.

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