Droit fiscal

Le blanchiment des capitaux en droit congolais

L’ancien ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et technique, Willy Bakonga Wilima, a été condamné à trois ans de servitude pénale principale ce jeudi 29 avril 2021 à Kinshasa. C’était à l’issue d’un procès en flagrance à la Cour de Cassation.

Le ministère public avait requis 10 ans de prison, mais la Cour qui n’a retenu que l’infraction le transfert illégal des fonds à l’étranger et a été plus clémente pouvons-nous lire sur actualite.cd

Sans toutefois entrer dans les détails de la procédure, nous allons nous limiter dans l’analyse de l’infraction de transfert illégal des fonds à l’étranger en droit pénal congolais, mais avant cela voyons d’où vient cette infraction !

I. Quelle est l’origine de la pratique du blanchiment d’argent sale ?

Tout commence à l’époque de la Prohibition américaine dans les années 1920-1930 (Il s’agit d’une mesure édictée par le 18e amendement de la Constitution américaine, la prohibition aux États-Unis signe l’interdiction de fabriquer, transporter, importer, exporter et vendre de l’alcool. Mise en place le 29 janvier 1919, cette mesure avait pour objectif de réduire les délits et la corruption.)

C’est alors que la mafia de Chicago va prendre le contrôle des toutes les blanchisseries de la ville. Il existera ainsi une main mise sur des commerces totalement légaux où d’importantes quantités de pièces de monnaie étaient échangées sans qu’aucun contrôle efficace ne puisse se faire.

Cela constituait un moyen d’entrée privilégié pour les capitaux issus du commerce illégal d’alcool dans le processus de nettoyage des gains illicites.

Une autre origine peu vraisemblable est souvent avancée : l’expression « blanchiment d’argent » viendrait du fait qu’Al Capone (chef d’une famille mafieuse) aurait racheté en 1928, à Chicago, une chaîne de blanchisseries : les Sanitary Cleaning Shops. Cette façade légale lui permettait ainsi de recycler les ressources tirées de ses nombreuses activités illicites. En réalité l’expression n’apparaît qu’au cours des années 1970 autour du Watergate et il faut attendre 1982 pour qu’elle soit utilisée dans une affaire judiciaire.

Toutefois l’arrestation d’Al Capone pour fraude fiscale, et non pour les crimes commis, montre l’importance et la difficulté du blanchiment d’argent dans la lutte contre les organisations criminelles. Le mafioso Lucky Luciano et son bras droit Meyer Lansky comprirent dès 1932 l’importance d’inventer de nouvelles techniques de blanchiment de fonds, notamment grâce au réseau d’îles politiquement indépendantes, dit pays offshores.

II. Comment peut-on définir le blanchiment de capitaux ?

Le blanchiment de capitaux peut de définir comme étant « Fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect ainsi que d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit de l’une de ces infractions. » (Lexique des termes juridiques, Dalloz 2017-2018)

Au regard de la loi n°04/016 du19 juillet 2004 portant lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme à son article 1er :

Sont considérés comme constitutifs de l’infraction de blanchiment de capitaux, les actes ci-dessous, commis intentionnellement, à savoir :

1°. la conversion, le transfert ou la manipulation des biens dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite desdits biens ou d’aider toute personne qui est impliquée dans la commission de l’infraction  principale à échapper aux conséquences juridiques de ses actes ;

2°. la dissimulation ou le déguisement de la nature, de l’origine, de l’emplacement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété réel des biens ;

. l’acquisition, la détention ou l’utilisation des biens par une personne qui sait, qui suspecte ou qui aurait dû savoir que lesdits biens constituent un produit d’une infraction.

La connaissance, l’intention, ou la motivation nécessaires en tant qu’élément de l’infraction peuvent être déduites des circonstances factuelles objectives.

III. Quelles sont les objectifs poursuivis à travers la pratique du blanchiment des capitaux ?

L’objectif poursuivi à travers de cette opération est la dissimulation de l’origine illicite ou criminelle des fonds (trafic de drogue, trafic d’armes, corruption, etc.), c’est-à-dire à faire croire que des capitaux et valeurs patrimoniales illégalement acquises ont une source licite et à les insérer dans le circuit économique. (Voir Raman A, 2000, p.36.).

Dans une optique de plus long terme, le blanchiment peut en plus de cacher la source illicite d’un mouvement de capitaux, viser à assurer la continuité d’une activité criminelle, ou encore d’effectuer des placements financiers ou commerciaux.

IV. Existe-t-il une corrélation entre le blanchiment des capitaux et la corruption ?

Il y a corruption dès lors qu’une personne est rémunérée pour qu’elle puisse poser ou ne pas poser des actes qui relève de sa fonction.

La corruption peut concerner toute personne bénéficiaire d’un pouvoir de décision, que ce soit une personnalité politique, un fonctionnaire, un cadre d’une entreprise privée, un médecin, un arbitre ou un sportif, etc.

In globo, le mot corruption couvre les dessous de table, les fraudes de toutes sortes, l’extorsion, le favoritisme et le détournement des deniers publics ou privés.

Le blanchiment d’argent est fortement lié à la corruption parce que, l’argent provenant de la corruption est dit « sale », il est entaché d’illégalité et risque de dénoncer celui qui en possède. La plupart des actes criminels, tel que la corruption, visent à générer des profits à caractère pécuniaire pour l’individu ou le groupe. Le blanchiment de capitaux consiste donc à retraiter ces produits d’origine criminelle pour maquiller l’origine illicite.

Ce processus revêt une importance essentielle puisqu’il permet au criminel de profiter de ces bénéfices tout en protégeant leur source.

En effet, lorsqu’une activité criminelle génère des bénéfices importants, l’individu ou le groupe impliqué doit trouver un moyen de contrôler les fonds sans attirer l’attention sur son activité criminelle ou sur les personnes impliquées.

Les criminels s’emploient donc à masquer les sources, en agissant sur la forme que revêtent les fonds ou en les déplaçant vers des lieux où ils risquent moins d’attirer l’attention comme l’affirme Mme Marie-Lydie MAKELELE (voir Procédure légale de gestion des cas de FRAUDE ET de corruption en République démocratique du Congo du traitement des déclarations de soupçon au niveau de la Cenaref)

V. Quelles sont les méthodes employées par les criminels pour blanchir des capitaux aujourd’hui ?

Avec des campagnes de plus en plus importantes contre le blanchiment d’argent auprès des banques et des paradis fiscaux, ainsi que la levée du secret bancaire sur ordre de la Justice, les criminels sont obligés de se tourner vers d’autres intermédiaires pour blanchir leur argent.

Les commerces comme les bijouteries et les entreprises d’import-export sont les premières cibles pour blanchir l’argent.

L’établissement de plusieurs fausses factures entre des sociétés écran permet également de faire croire que cet argent est tout à fait propre. Mais il existe bien sûr beaucoup d’autres méthodes, l’imagination des criminels dans ce cas est presque sans limite.

• Schtroumpfage : Le schtroumpfage est probablement la méthode la plus courante de blanchiment d’argent. Cette méthode nécessite l’implication de nombreuses personnes dont le rôle consiste à déposer des sommes en espèces dans des comptes bancaires ou à se procurer des traites bancaires de moins de 10 000 de la monnaie du pays afin d’éviter le seuil de déclaration.

• Complicité bancaire : Il y a complicité bancaire lorsqu’un employé de la banque s’est impliqué criminellement afin de faciliter le processus du blanchiment d’argent.

A savoir : Toutefois, les criminels ont de plus en plus de difficulté à utiliser cette méthode en raison des principes directeurs, des pratiques et des procédés de formation préconisés par certains pays tels que par l’Association des banquiers canadiens (ABC), ainsi qu’en France avec la Fédération Bancaire Française et l’application stricte de la législation (Code monétaire et financier, Code pénal) et de la réglementation bancaire qui en découle.

• Entreprise de transfert de fonds et bureaux de change : Les entreprises de transfert de fonds et les bureaux de change mettent à la disposition de leurs clients des services qui leur permettent de se procurer des devises étrangères qui peuvent être emportées outre-frontière. On peut aussi, par l’entremise de ces bureaux, télégraphier des fonds à des comptes ouverts dans des banques étrangères. Il est de même possible de se procurer des mandats, des chèques bancaires ainsi que des chèques de voyage à travers ces entreprises.

•  Achat de biens au comptant : Les blanchisseurs achètent et paient en espèces des biens de grande valeur tels que des automobiles, des bateaux ou certains biens de luxe tels que des bijoux ou de l’équipement électronique. Ils utiliseront ces articles, mais ils s’en distancieront en les enregistrant ou en les achetant au nom d’un associé.

• Transfert électronique de fonds : Aussi connue sous le nom de virements électronique ou télévirement, cette méthode permet de transférer des fonds d’une ville ou d’un pays à l’autre afin d’éviter le transport physique de l’argent.

• Mandats-poste : Cette technique consiste à échanger des sommes en espèces contre des mandats- poste, lesquels sont ensuite transmis à l’étranger pour fin de dépôt bancaire.

• Cartes de crédit : Les malfaiteurs paient en trop le solde de leurs cartes de crédit et conservent un solde créditeur élevé pouvant être utilisé de nombreuses façons telles que l’achat de biens de valeur ou la conversion du solde créditeur en chèque bancaire.

• Casinos : Les blanchisseurs se rendent au casino, où ils se procurent des jetons en échange d’argent comptant pour ensuite encaisser leurs jetons sous forme de chèque.

  Arnaque à la loterie : Les trafiquants sont amenés à acheter un ticket de type PMU, jeu à gratter ou bulletin de loto gagnant au prix de la somme remportée, pour blanchir une somme moyenne d’argent sale.

• Raffinage : Cette technique consiste à échanger de petites coupures contre des grosses dans le but d’en diminuer le volume. Pour ce faire, le blanchisseur échange des sommes d’argent d’une banque à l’autre afin d’éviter d’éveiller les soupçons. Cela sert à diminuer les grandes sommes d’argent.

• Amalgamation de fonds dans des entreprises honnêtes : Les organisations criminelles ainsi que les individus qui y sont impliqués peuvent blanchir des fonds en investissant dans des entreprises qui affichent normalement un volume élevé de transactions au comptant afin d’incorporer des produits de la criminalité aux activités commerciales légitimes brassées par l’entreprise.

Enfin, il arrive que des criminels achètent des commerces qui génèrent des recettes brutes par des ventes au comptant. C’est le cas des restaurants, bars, boîtes de nuit, hôtels, bureaux de change et compagnies de distributrices automatiques. Ils investissent ensuite ces fonds obtenus par des moyens frauduleux en les amalgamant à un revenu qui ne suffirait pas autrement à soutenir une entreprise honnête.

• Altération des valeurs : Un blanchisseur peut acheter un bien immobilier d’une personne disposée à déclarer un prix de vente sensiblement inférieur à la valeur réelle du bien et se faire payer la différence en argent comptant « en cachette ».

Le blanchisseur peut acheter, par exemple, une maison d’une valeur de deux millions de dollars pour seulement un million et transmettre en secret au vendeur le reste de l’argent qu’il lui doit. Après une certaine période de rétention du bien immobilier, le blanchisseur la vend à son prix réel, soit deux millions de dollars.

•  Auto-prêt: Pour les besoins de cette technique, le trafiquant remet à un complice une somme d’argent illicite. Ce complice lui « prête » une somme équivalente, documents de prêt à l’appui, pour créer l’illusion que l’argent du criminel est légitime. Le calendrier de remboursement de l’emprunt par le criminel ajoute à l’apparence de légitimité de cette combine, et procure encore un autre moyen de transférer des fonds

Lutte contre le blanchiment d’argent et obligations légales

Avec la mondialisation et les échanges de capitaux qui sont de plus en plus importants et fréquents, la lutte contre le blanchiment d’argent est maintenant effectuée à l’échelle internationale. C’est ainsi que différents groupes comme le GAFI (Groupe d’Action Financière), se réunissent régulièrement pour faire le point et mettre en place de nouvelles méthodes de lutte et ainsi s’adapter aux nouvelles techniques des criminels.

Le blanchiment d’argent contribue (entre autres) au financement du terrorisme, de partis politiques, de syndicats, etc.

VI. Quels sont les éléments constitutifs de l’infraction de blanchiment des capitaux en République démocratique du Congo ?

Pour que l’infraction de blanchiment des capitaux soit retenue, il faut la réunion de ces trois éléments suivants à savoir :

• l’élément légal

• l’élément matériel et

• l’élément moral

a. L’élément légal

L’infraction de blanchiment des capitaux est incriminée tant sur le plan international que sur le plan national.

  • instruments juridiques internationaux de lutte contre le blanchiment des capitaux

La Convention des Nations-Unies contre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes adoptée à Vienne le 20 Décembre 1988 qui sanctionne les actes constitutifs du Blanchiment des capitaux à son article 3, paragraphe 1, alinéa b condamne le blanchiment des capitaux

La convention de Palerme est votée la convention des Nations Unis contre la criminalité transnationale organisée de 2000

La Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (New York, le 09 décembre 1999)

A côté de cet arsenal juridique onusien, en 1990, le Groupe d’Action Financière (GAFI) créé lors du sommet du G7 à Paris en 1989 rédige un plan d’action contre le blanchiment des capitaux sous forme de 40 recommandations. Ces recommandations révisées en 2003 s’imposent à tous les acteurs du secteur bancaire. L’ensemble de ces conventions internationales, adoptées par la plupart des États Africains va servir de base à l’élaboration de textes à l’échelle sous régionale.

• Au niveau national

La République démocratique du Congo a mis en place un dispositif qui intègre en droit interne les engagements internationaux pris en vertu des conventions bilatérales et multilatérales qu’il a ratifiées, les recommandations du GAFI et du Comité de Bâle sur le devoir de vigilance à l’égard de la clientèle ainsi que les dispositions pertinentes des résolutions du Conseil de Sécurité, basées sur le chapitre VII de la Charte des Nations-Unies qui forment l’un des piliers de l’ordonnancement juridique international dans le domaine de la lutte contre le terrorisme.

Au lendemain du 11 septembre 2001, le processus de mise en place de la législation congolaise en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme a marqué une sensible avancée en la matière.

Ainsi en République démocratique du Congo, la loi n°04/016 du 19 juillet 2004 portant lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme comme instrument juridique de lutte contre le blanchiment des capitaux.

b. L’élément matériel

L’infraction de blanchiment des capitaux nécessite la réunion de deux éléments suivants :

– l’existence d’une infraction d’origine

Le blanchiment suppose la réalisation antérieure d’une autre infraction ; cependant, la jurisprudence comme l’affirme DJUMA Étienne Galilée précise qu’il n’est pas nécessaire que ladite infraction ait été punie ; il suffit donc que le juge du fond constate l’existence de cette infraction antérieure (Loi 04/016 du 19 juillet 2004 portant lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, Article 3, point 5, In JORDC, 45ième Année, du 1ier août 2004.)

Pour la loi en la matière, l’expression « infraction d’origine » désigne toute infraction pénale, même commise à l’étranger, ayant permis à son auteur de se procurer des produits au sens de la présente loi.

–  Les procédés de blanchiment

Il peut s’agir de tout moyen employé pour justifier l’origine mensongère des biens, fonds ou revenus. C’est donc le moyen auquel l’auteur recourt pour dissimuler ou déguiser l’origine illicite desdits biens, fonds ou revenus (conversion, le transfert ou la manipulation des biens dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine, dissimulation de la nature de l’objet)

c. L’élément moral

L’infraction de blanchiment des capitaux est belle et bien une infraction intentionnelle. De ce fait, l’élément matériel et l’élément moral devront être démontrer pour permettre à ce que l’infraction soit retenue.

À savoir: s’agissant de la peine encourue, la réponse se trouve à l’article 34 de la loi n°04/016 du 19 juillet 2004 portant lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme qui dispose :

« Seront punis de cinq à dix ans de servitude pénale et d’une amende dont le maximum est égal à six fois le montant de la somme blanchie, ceux qui auront commis un fait de blanchiment. Le complice du blanchiment est puni de la même peine que l’auteur principal. »

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Toni Lokadi

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