Divers évènements récents ou « affaires », puisqu’elles ont été relayées par les médias, ont suscité de nouveau un débat sur le concept de la laïcité en République démocratique du Congo.
Dans son intervention à la conférence de l’American Israel Public Affairs Commitee (AIPAC 2020), le chef de l’État Félix Tshisekedi avait souligné la nécessité du renforcement des liens notamment spirituels entre la RDC et l’Israël.
Récemment, le Chef de l’État a confié la gestion du Fonds national de solidarité contre le Coronavirus aux chefs religieux en nommant le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa comme coordonnateur et André Bokundoa, président de l’Église du Christ au Congo( ECC) comme coordonnateur adjoint.
Ces faits remettent en exergue la problématique de la laïcité de l’Etat en RDC. Mais que recouvre cette notion ? Éléments de réponse dans cet article.
Notion de la laïcité
Étymologiquement, le terme laïcité vient du grec laikos (commun, du peuple), par opposition au terme klérikos (clerc), qui désigne les institutions religieuses.
Si le substantif laïc fût utilisé dès le moyen âge, pour désigner toute personne n’étant ni un clerc ni un religieux, le terme laïcité n’apparaîtra que plus tard dans la langue française à partir de la seconde moitié du XIX siècle.
La définition de la laïcité pose problème, tant le concept est univoque. Dans son acception française, et si l’on reprend la définition donnée par Ernest RENAN la laïcité c’est « l’état neutre entre les religions, tolérant pour tous les cultes et forçant l’église à lui obéir sur ce point capital. »
La définition juridique de la laïcité est quant à elle plus aisée. Le professeur Jean RIVERO écrivait en 1949 que la laïcité ne peut s’entendre que dans un seul sens, celui de la neutralité religieuse de l’État.
Aperçu historique de la laïcité en République démocratique du Congo
L’histoire du pays témoigne combien l’influence catholique est profonde depuis 1908 lorsque le roi Léopold II céda l’État du Congo au royaume de Belgique.
Il faut savoir que durant toute la période coloniale, jusqu’en 1960, le Congo fut géré par des ministres catholiques, il a fallu attendre 1946 pour que des écoles officielles laïques soient mises en place, pour les blancs premièrement, ensuite pour les « évolués » et enfin pour tous les indigènes.
Le tournant décisif est intervenu en 1954 lorsque le libéral Auguste Buisseret créa les écoles laïques mixtes pour Congolais, mixtes à savoir Blancs et Noirs, hommes et femmes, ainsi que la sécurité sociale pour tous. Ce qui par ricochet favorisa l’émergence de cercles de réflexions pour les Noirs et qui donna naissance aux partis politiques.
Ces événements se déroulaient parallèlement à la guerre scolaire: c’était la première fois que le monde laïque gouvernait en Belgique.
Quant aux universités, celle de Lovanium, catholique, date de 1954. En 1956, exista la première université officielle du Congo, à Elisabethville devenue Lubumbashi. Patrice Lumumba, qui deviendra le premier héros du Congo indépendant, soutiendra cette action du ministre Buisseret.
Certains historiens estiment que c’est grâce à cette influence que la première constitution de l’État indépendant définit le Congo comme un État laïque, démocratique, gouverné par le peuple et pour le peuple.
Toutefois, le président Mobutu, après l’assassinat de Patrice Lumumba, abandonna l’enseignement public qui n’était pas subventionné, au contraire de l’enseignement catholique qui, en 1976, se vit chargée de l’enseignement dans tout le Zaïre. La laïcité ne pouvait plus exercer le contrepoids de l’Église catholique.
La consécration de la laïcité dans la Constitution
La première constitution congolaise dénote un embarras des législateurs congolais aux premières heures de l’indépendance, partagés entre l’affirmation explicite de la laïcité et la proclamation de la foi en « Dieu », la question restant posée de savoir de quel « Dieu » il pouvait bien s’agir.
Dans le préambule de la première Constitution de notre pays, il était écrit : « Nous, Peuple congolais, Conscient de nos responsabilités devant Dieu, la Nation, l’Afrique et le monde, déclarons solennellement…». Seul porteur d’effet pour les citoyens, l’article 24 est le premier fondement solide de la laïcité congolaise : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ».
Dans la République, il n’y a pas de religion d’État. Toute personne devenue majeure a le droit de changer de religion ou de conviction.
Toute personne a le droit de manifester sa religion ou ses convictions, seule ou en commun tant en public qu’en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques, l’accomplissement et l’état de vie religieuse, sous réserve du respect de l’ordre public et des bonnes mœurs. »
Malgré ce départ prometteur, les résultats ne sont pas ce que l’on escomptaient. Car, il faut bien dire que la laïcité suscite toujours des débats en République démocratique du Congo.
D’une part, la constitution du 18 février 2006 telle que modifiée à ce jour conserve les ambiguïtés de celle de 1960. Plus long, le préambule se réfère à toute une série de principes généraux généreux et d’actes juridiques panafricains et internationaux, mais nulle part la laïcité n’est présenté comme l’un des nobles idéaux du peuple congolais .
On y voit revenir aussi la référence au peuple constituant comme étant « conscient de ses responsabilités devant Dieu, la Nation, l’Afrique et le monde ». S’il n’y aucune référence à une quelconque religion de l’Etat, c’est d’abord par un détour que la constitution se réfère implicitement à la laïcité en affirmant qu’aucun congolais ne peut, en matière d’éducation et d’accès aux fonctions publiques ni en aucune autre matière, faire l’objet d’une mesure discriminatoire (…) en raison de sa religion, de son origine sociale, de sa résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, etc… » (voir art. 13 de la constitution du 18 février 2006 telle que modifiée à ce jour ).
La constitution du 18 février 2006 telle que modifiée à ce jour en son article 22 reprend presque mot pour mot l’article 24 de la constitution de 1960.
Mais dans la pratique des choses, on n’a pas avancé dans le sens de la laïcité. Ne peut-on pas craindre que, n’ayant pas avancé, le Congo ait en fait reculé dans la voie de la laïcité ?
Rappelons que la République laïque assure ainsi l’égalité des citoyens face au service public, quelles que soient leurs convictions ou croyances.
La laïcité n’est pas une opinion parmi d’autres mais la liberté d’en avoir une. Elle n’est pas une conviction mais le principe qui les autorise toutes, sous réserve du respect de l’ordre public.