2. LA DÉONTOLOGIE MÉDICALE FACE AU DROIT DE GRÈVE
Comme nous l’avons évoqué au début, dans notre société, la grève des médecins est souvent mal vu et la plus part des critiques qui sont faites à l’égard de droit de grève pour les médecins se fondent souvent sur le Serment d’Hippocrate(6). Selon Pellegrino derrière toute prise en charge médicale il y a la promesse de la part du praticien de veiller au bien de son patient. Cela implique non seulement de protéger le patient de ce qui pourrait nuire à sa santé, mais aussi de veiller à agir pour son bien. L’intérêt propre du médecin devrait pouvoir s’effacer devant ceux de son patient (7). Cela constitue le soubassement même de la médecine.
Selon la Déclaration d’Helsinki rappelle clairement que : « Le devoir du médecin est de promouvoir et de sauvegarder la santé, le bien-être et les droits des patients, y compris ceux des personnes impliquées dans la recherche médicale. Le médecin consacre son savoir et sa conscience à l’accomplissement de ce devoir. » (8). Le Code International d’Éthique Médicale de l’Association Médicale Mondiale ajoute que : « Le médecin devra agir uniquement dans l’intérêt de son patient […] » ou encore : « Le Médecin devra toujours avoir à l’esprit le souci de conserver la vie humaine. […] Le médecin devra considérer les soins d’urgence comme un devoir humanitaire à moins qu’il soit assuré que d’autres désirent apporter ces soins et en sont capables. » (9).
Rappelons également que la Déclaration de Genève qui est aujourd’hui considère comme le Serment d’Hippocrate moderne et dans lequel on peut lire : « Je considérerai la santé de mon patient comme mon premier souci » (10). Enfin, il importe de rappeler que le Guide Européen d’Éthique Médicale aborde spécifiquement et de façon très claire la question de la grève médicale dans son article 37 : « Lorsqu’un médecin décide de participer à un refus collectif organisé des soins, il n’est pas dispensé de ses obligations éthiques vis‑à‑vis des patients à qui il doit garantir les soins urgents et ceux nécessaires aux malades en traitement » (11).
En République démocratique du Congo le code de déontologie médicale congolais s’inscrit dans la ligne hippocratique et porte des réponses à ceux qui s’opposent au principe des grèves médicales, en particulier celles sans service minimum. Ainsi, nous pouvons lire dans l’article 1 de ce code déontologie dispose : « L’exercice de la médecine est un ministère. Le respect de la vie et de la personne humaine constitue en toute circonstance le devoir primordial du médecin ». Cela a pour conséquence que : « Quelle que soit sa fonction ou sa spécialité, tout médecin doit, hors le seul cas de force majeure, porter secours d’extrême urgence à un malade en danger immédiat si d’autres soins médicaux ne peuvent lui être assurés » (12).
Le code de déontologie ajoute également que : « Le médecin peut se dégager de sa mission à condition :
1° de ne jamais nuire, par ce fait, au malade dont il se sépare ;
2° d’en avertir le malade ou son entourage ;
3° de fournir les renseignements qu’il juge, en conscience, utiles à la continuité des soins, compte tenu des obligations du secret médical » (13).
La déontologie médicale sur le plan international ou sur le plan national, ne s’oppose à l’idée au fait que des médecins puissent faire grève, toutefois elle rappelle les devoirs propres à la profession et fournit par la même occasion des repères morales pour encadrer le droit de grève. On pourrait formuler ces balises de cette façon :
1) le premier devoir du médecin est, sauf cas de force majeure, de sauvegarder la santé et la vie de ses patients en leur offrant les soins dont ils ont besoin ;
2) laisser la santé d’un patient se détériorer de façon grave, voire le laisser mourir alors qu’il était possible de lui porter secours est en totale opposition avec l’esprit même de la déontologie médicale. La déontologie médicale fournit dès lors des arguments pour accepter que des médecins puissent faire grève à condition que tout soit organisé pour que la santé et la vie des patients ne soient pas menacées par les actions menées.
Références
- Jean Michel KUMBU, Droit social : droit du travail et de la sécurité sociale, éd. Galimage, Kinshasa, 2015, p.133
- www.sud-travail-sociales.org
- LUWENYEMA LULE, Précis de droit du travail zaïrois, Lule, Kinshasa, 1989.p.364.
- Article 38 de la constitution du 18 février 2006 telle que modifiée à ce jour
- Article 323 du code du travail congolais du 16 octobre 2002
- Thomson SL, Salmon JW. Strikes by physicians: a historical perspective toward an ethical evaluation. International Journal of Health Services. 2006; 36(2):331 54.
- Pellegrino ED, Thomasma DC. The Virtues in Medical Practice. New York/Oxford: Oxford University Press; 1993 cité dans Les grèves de médecins en République Démocratique du Congo : quels repères éthiques généralisables ? in Revue Canadienne de la Bioéthique, Volume 2, Number 2, 2019, p.6
- Association Médicale Mondiale. Déclaration d’Helsinki: Principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains; 1964/2013
- Association Médicale Mondiale. Code International d’Éthique Médicale de l’AMM; 1949/2006
- Association Médicale Mondiale. Déclaration de Genève; 1947.
- Conférence Internationale des Ordres des medecins. Guide européen d’éthique médicale; 6 janvier 1987
- Article 2 de l’Ordonnance-loi n⁰70-158 du 30 avril 1970 déterminant les règles de la déontologie médicale.
- Article 22 de l’Ordonnance-loi n⁰70-158 du 30 avril 1970 déterminant les règles de la déontologie médicale.