Avant tout, il importe de rappeler que cette différence est fondée sur la durée de l’accomplissement de l’acte matériel.
1. Quel est le but de cette distinction ?
Le point de départ du délai de prescription de l’action publique
En matière de contravention, le délai de prescription est de un an[1]. En principe, il est en matière de délit, de trois ans[2], et en matière de crime, de dix ans[3]. Le délai court du jour où l’infraction est consommée. Si l’infraction est continue, le délai de prescription court à partir du moment où l’infraction cesse de s’accomplir.
2. Quel tribunal sera compétent pour connaître l’affaire ?
Le tribunal répressif compétent est celui dans le ressort duquel l’infraction a été commise. Si l’infraction est une infraction instantanée, elle n’a été commise que dans le ressort d’un seul tribunal. À l’inverse, une infraction continue peut avoir été commise dans le ressort de plusieurs tribunaux. Les poursuites pourront alors être intentées dans tous les ressorts des tribunaux concernés.
3. Qu’en est-il de l’application de la loi dans le temps ?
Il faut déterminer le moment exact de commission d’une infraction, qui n’est pas le même selon que l’infraction est continue ou instantanée. La loi nouvelle s’appliquera à l’infraction continue achevée après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle (v. Application de la loi pénale dans le temps).
4. Qu’en est-il de la question de l’autorité de la chose jugée ?
Le principe de l’autorité de la chose jugée s’applique lorsqu’une infraction instantanée a fait l’objet d’un jugement. Au contraire, si une infraction est continue, qu’elle a déjà fait l’objet d’un jugement, mais que l’acte se prolonge après le jugement, une nouvelle action est possible[4].
5. Quel serait l’effet de la loi d’amnistie ?
Les lois d’amnistie sont des lois qui pardonnent au délinquant : elles éteignent l’action publique ou la peine prononcée. Toute loi d’amnistie fixe une date butoir avant laquelle l’infraction doit avoir été commise pour bénéficier de l’amnistie[5].
6. Quelles sont les difficultés d’application du critère de la distinction ?
Deux difficultés surgissent à l’occasion de certaines infractions. Premièrement, dans l’hypothèse où des conséquences se produisent après l’achèvement de l’acte : doit-on considérer que l’infraction se perpétue ? Deuxièmement, il y a l’hypothèse où les conséquences de l’acte se produisent avant l’achèvement de l’acte.
a. Première difficulté d’application du critère de distinction
L’acte constitutif de l’infraction a été intégralement accompli mais ces actes produisent des effets qui se prolongent dans le temps. L’infraction est-elle consommée au jour où l’acte cesse de se produire ou au jour où les conséquences cessent de se produire ?
C’est un problème important, notamment en matière de prescription. La jurisprudence et la doctrine opèrent une distinction entre infraction permanente et infraction successive.
La distinction entre infraction permanente et infraction successive
Parfois, l’acte prend fin lorsque l’acte lui-même cesse de s’accomplir, même si les conséquences de l’acte persistent. En ce cas, l’infraction est dite permanente. D’après la jurisprudence, une infraction est permanente lorsque ses conséquences se prolongent par la seule force des choses, sans renouvellement de la volonté de son auteur.
𝗘𝘅𝗲𝗺𝗽𝗹𝗲 : délit de construction sans permis. Après la cessation de l’acte, l’édifice peut demeurer pendant un temps indéterminé.
Cette infraction est définitivement accomplie dès la fin de la construction[6]. La prescription court de ce jour[7].
𝗘𝘅𝗲𝗺𝗽𝗹𝗲 : le délit de bigamie est définitivement consommé au jour où le deuxième mariage est consommé.
𝗘𝘅𝗲𝗺𝗽𝗹𝗲 : contravention d’embarras de la voie publique, qui suppose le dépôt sur la voie publique d’un objet qui encombre la voie publique.
Parfois, l’infraction n’est définitivement consommée qu’au jour où les conséquences de l’acte cessent de se produire.
L’infraction dure non seulement pendant l’acte, mais également pendant les conséquences. En ce cas, l’infraction est dite de succession. Selon la jurisprudence, une infraction est successive lorsqu’elle se renouvelle par une réitération de la volonté de son auteur[8].
𝗘𝘅𝗲𝗺𝗽𝗹𝗲 : le délit d’ouverture illégale d’un débit de boisson dure jusqu’à ce que le débit de boisson soit fermé[9].
𝗘𝘅𝗲𝗺𝗽𝗹𝗲 : le délit d’abandon de famille suppose le non-paiement d’une pension alimentaire pendant une durée de deux mois[10].
𝗘𝘅𝗲𝗺𝗽𝗹𝗲 : la contravention d’établissement d’un barrage dans une rivière est définitivement consommée au jour où le barrage disparaît.
𝗘𝘅𝗲𝗺𝗽𝗹𝗲 : délit d’affichage illicite.
7. Quel est l’intérêt de cette distinction ?
La distinction entre infraction simple et infraction continue présente des intérêts pratiques considérables, notamment en matière de prescription et d’amnistie. Cependant, on peut remarquer que le critère de distinction est extrêmement flou.
𝗘𝘅𝗲𝗺𝗽𝗹𝗲 : quelle est la différence entre l’établissement d’un barrage dans une rivière et l’embarras de la voie publique ? L’une de ces infractions est une infraction permanente, l’autre successive.
Jusqu’à 1981[11], la Cour de cassation estimait que le délit d’affichage était une infraction permanente, puis elle est soudainement devenue une infraction successive, ce qui montre que le critère de distinction est flou.
Depuis, est apparue la distinction des infraction occulte, qui enlève l’intérêt de la distinction entre infraction permanente et infraction successive dans les cas où l’infraction présente un caractère clandestin.
b. Deuxième difficulté d’application du critère de distinction
Entre l’infraction continue et l’infraction instantanée, il y a l’infraction continuée. L’infraction continuée est une série d’infractions instantanées mais qui font partie d’un plan d’ensemble, c’est-à-dire poursuivant un but unique. Ex: un cambrioleur qui vole plusieurs choses dans une maison.
𝗘𝘅𝗲𝗺𝗽𝗹𝗲 : le fait pour un employé de prendre chaque jour un billet de banque dans la caisse de son employeur.
𝗘𝘅𝗲𝗺𝗽𝗹𝗲 : vol d’électricité opéré à l’aide d’un branchement illégal.
La question qui se pose est celle de savoir s’il y a autant d’infractions consommées que d’actes accomplis ou une seule infraction continue.
L’intérêt de la distinction est la prescription de l’infraction. La doctrine estime que l’infraction continuée est une infraction unique est soumise au régime de l’infraction continue. Il n’y aura qu’une seule volonté parce que toutes ces infractions ont un but unique. C’est l’unité de but qui justifie aux yeux de la doctrine l’unité d’infraction. La chambre criminelle n’a pas de solution ferme[12]. Tantôt, il n’y a qu’une seule infraction, tantôt plusieurs, d’où une nouvelle incertitude.
Notes et références
1 Art. 9 C. proc. pén.
2 Art. 8 C. proc. pén.
3 Art. 7 C. proc. pén.
4 Crim. 20 novembre 1963 : Bull. crim. n° 325. Crim. 30 juin 1981 : Bull. crim. n° 223
5 Crim. 15 mars 1966 : Bull. crim. 95. Crim. 18 avril 1969 : Bull. crim. n° 136
6 Crim. 22 mai 1973 : Bull. crim. n° 229
7 Crim. 15 janvier 1964 : Bull. crim. n° 15
8 Crim. 19 décembre 1956
9 Crim. 24 juillet 1974 : Bull. crim. n° 267. Crim. 23 janvier 1979 : Bull. crim. n° 30
10 Crim. 2 décembre 1998
11 Crim. 16 décembre 1964 : n° 339
12 Crim. 3 février 1971 : Bull. crim. n° 77